Académie Française

Quinault est un des membres les plus assidus de l’Académie Française, qu’il intègre en 1670, à l’âge de 35 ans. Pour la période du 2 janvier 1673 au 6 décembre 1677 et du 5 mars au 29 août 1678, la seule pour laquelle les registres existants donnent les noms de tous les membres présents, il est présent à 550 des 670 séances, soit 82%, bien que le nombre de « Messieurs » présents dépasse rarement la quinzaine. Il n’est pas moins fidèle à ses devoirs de membre de l’Académie des Inscriptions (Petite Académie) et d’Auditeur dans la Cour des Comptes.

 

Cependant, d’un certain point de vue, les absences de Quinault sont même plus intéressantes que ses présences. Si pendant toute cette période, de janvier 1673 à août 1678, il assiste à presque toutes les séances de l’Académie, pourquoi en manque-il d’autres ? Il n’y a pas de saison particulière où il est souvent absent, mais on peut expliquer un grand nombre de ses absences par les créations et reprises de ses opéras ou de ses pièces, où sa présence est nécessaire. Et on peut émettre l’hypothèse que, si la majorité des absences correspond à ces créations et reprises, on pourrait attribuer d’autres absences, pour laquelle il n’y a pas de raison aussi évidente, à ses responsabilités auprès de la troupe de Lully. Je proposerai un résumé de ces absences après une présentation de ses présences et de ses activités.

 

PRÉSENCES et ACTIVITÉS

Nous avons vu qu’il est présent à presque toutes les séances pendant les années 1673-1678, et rien n’indique qu’il néglige l’Académie avant ou après cette période. Il est Directeur de l’Académie cinq fois : juillet-septembre 1675, avril-juin 1677, janvier-mars 1678, octobre-décembre 1679 et octobre-décembre 1681. C’est grâce à ce rôle qu’il harangue le roi, au nom de l’Académie, le 30 juillet 1675 et le 12 juin 1677. Il aura aussi l’honneur de complimenter Bussy-Rabutin sur son rappel à la cour, en janvier 1682, et – selon Furetière – de haranguer le duc de Richelieu, sur la mort de son épouse en 1684[1].

 

Les Registres de l’Académie mentionnent plusieurs fois la participation de Quinault dans la préparation du dictionnaire. À des dates qui sont difficiles à déterminer, mais probablement vers la fin de 1674[2], Quinault pose deux questions à ses collègues :

M. Quinaud ayant demandé à la Compagnie, assemblée au nombre de seize, laquelle estoit la meilleure de ces trois façons de parler, dancer l’opera, jouer l’opera, representer l’opera.  Elle a respondu que dancer et chanter l’opera estoit bien dit à l’esgard des danceurs et des musiciens, mais qu’à lesgard des spectateurs et du public il falloit dire jouer l’opera ou  representer l’opera, et que le dernier estoit le plus noble. La raison de cela est que l’opera est un poëme dramatique, duquel la musique et la dance ne sont que les accompagnements, sans lesquels mesme il pourroit subsister tout seul. Ainsy le poeme estant le corps et le principal de cete action, laquelle conduit la dance et la musique, on luy doit appliquer les memes termes de jouer et de representer dont on se sert pour la Comedie (Registres, t. IV, p. 93).

On devine que Quinault était content de la réponse ; en fait, il aurait pu la formuler.

De la prononciation de l’N finale / M. Quinauld a demandé à la Compagnie de quelle façon se prononçoit l’N finale des particules on et en lorsque le mot suivant commence par une voyelle ; si on la prononce comme si elle estoit double ou si on laisse quelque espace entre cette consonne et la voyelle qui la suit, en sorte qu’elles paroissent destachées. […] La Compagnie fera droit sur ces doutes quand il lui plaira (Registres, t. IV, p. 94).

Question épineuse, semble-t-il.

 

Un peu plus tard, quand Quinault est Directeur de l’Académie pendant le deuxième quartier de 1677, on trouve dans le premier volume des Registres deux autres exemples de ses contributions au dictionnaire :

1er avril 1677

Monsieur Quinault a esté fait Directeur […] selon la forme ordinaire. […] il a esté resolu […] que le Directeur avec le Chancelier et le Secrétaire et tel autre de la Compagnie qu’il voudra appeler aura soin de revoir les feuilles [des cahiers A et B du dictionnaire] à mesure qu’elles seront imprimées, de corriger les fautes d’impression qui s’y trouveront […] ; Et que quant aux choses qui pourront recevoir de la difficulté et de la contestation, et qu’il jugera mériter la décision de la Compagnie, il luy en fera rapport, ou du moins prendra avis de deux des plus anciens. (p. 161)

13 mai 1677

M. Quinault, secondé de quelques autres a fait remettre en déliberation de quelle maniere on rangeroit les mots du Dictionnaire, ou tout à fait selon l’ordre alphabetique comme avoient fait tous les autres Dictionnaires François ou bien selon les racines, mettant les composés et les dérivés sous les simples. La chose ayant esté fort agitée, et les raisons proposées de part et d’autre, Il a esté résolu que les mots seroient rangés sous les Racines […] ».

Une note en marge ajoute : « On resout le Dictionnaire par racines nonobstant les efforts de Mr Quinaud, secondé de Mrs Huet, Regnier et le Président de Mesmes (p. 164).

 

À la fin de 1684, Quinault est au cœur de la querelle sur le dictionnaire de Furetière. Selon les Registres, le 22 décembre 1684 « il a esté représenté à la Compagnie que Mr l’abbé de Furetière avoit obtenu un privileige pour l’impression d’un Dictionnaire universel de tous les mots de la langue et qu’il le faisoit actuellement imprimer au préjudice du travail ordinaire de la Compagnie et au préjudice du privileige par elle obtenu pour l’impression de son Dictionnaire ».

 

Dans l’Académie, l’affaire étant d’importance, on remit une décision jusqu’au 4 janvier suivant, mais une lettre de Tallemant l’ainé nous apprend quelques détails sur les discussions le 22 décembre[3] :

Enfin l’affaire alla si loin, que M. de Louvois en ayant esté instruit en parla chez luy à ceux qui composent l’Académie des Médailles, dont sont M. Tallemant le jeune, M. Charpentier, M. Quinaut, et depuis quelque tems MM. Racine et Des Préaux, avec quelques autres qui ne sont point de l’Académie Françoyse. Quelques jours après, M. Tallemant le jeune ayant rapporté le discours de M. de Louvois à quelques-uns de la Compagnie, avant que tout le monde fust venu, on le pria d’en parler eu pleine Assemblée, puisque les officiers gardoient le silence. M. de Furetiere s’y trouva et ce fut en sa présence que M. l’abbé Tallemant le jeune dit ce qu’il avoit appris ; à quoy M. de Furetiere répondit entre ses dents, sans vouloir s’expliquer entierement. La rencontre des Festes de Noel me donna lieu de luy dire qu’apparemment il ne laisseroit pas passer de si bons jours sans nous restituer ce qu’il avoit pris de nostre Dictionnaire. M. de Benserade luy dit quelque chose d’approchant. M. Boyer, M. Le Clerc, M. de La Fontaine en firent a peu près de même. M. Charpentier, M. Quinaut, M. d’Ancourt, M. Perraut, M. de Lavau, M. Regnier et M. Doujat lui remontrerent le tort qu’il avoit. Il les écouta sans leur témoigner aucun chagrin de leurs remontrances, mais il semble qu’il les ait distingués de tous les autres, puisqu’il les a particulierement attaqués dans ses Factums[4].

 

Il est vrai que Furetière ne laisse passer aucune occasion pour critiquer notre poète. Il se moque non seulement de ses origines de fils de boulanger, mais de son erreur géographique dans la didascalie au début du dernier acte d’Isis, où il confond les cataractes et l’embouchure du Nil[5].

 

Les activités de Quinault aux séances de l’Académie ne se limitent pas au dictionnaire et à des harangues. Les Registres et le Mercure Galant mentionnent la lecture de plusieurs textes de sa main, comme

·       le prologue d’Isis le 23 décembre 1676 (« On en a trouvé les vers fort beaux ») ;

·       le « Poème de Sceaux » en septembre 1677, relu pendant la réception de La Fontaine le 2 mai 1684 ;

·       « deux petits Ouvrages de Vers » sur Colbert et sur son fils le 31 octobre 1678 ;

·       « divers ouvrages de poésie » lus par Boyer, Quinault, Perrault et Benserade le 25 août 1683 ;

·       peut-être un poème sur la parfaite guérison du roi, avec ceux de « Plusieurs des Messieurs » le 27 janvier 1687.

 

Il est présent le 30 août 1683 quand la Compagnie fait ses condoléances au Roi sur la mort de la Reine, et le 26 octobre suivant au service pour Colbert à l’Église des Carmes des Billettes. Enfin, le 28 août 1688, trois mois avant sa mort, il est chargé, avec Perrault, d’examiner une lettre de l’Académie de Soissons. Le 29 novembre 1688 la Compagnie reçoit « avec douleur » la nouvelle de sa mort ; elle assiste au service en son honneur le 17 décembre 1688.

 

ABSENCES

Comme je l’ai dit au début de cette page, les absences de Quinault sont souvent plus intéressantes que ses présences. Il semble qu’il s’éloigne rarement de Paris, sauf pour suivre la cour. On ne lui connaît pas de résidence secondaire, au contraire de plusieurs de ses confrères – la Compagnie remet parfois une décision importante parce que trop d’Académiciens sont à la campagne[6]. La meilleure explication pour la plupart de ses absences, surtout de ses absences prolongée, est que sa présence était nécessaire aux créations et aux reprises de ses opéras ou de ses pièces.

 

Dans le cas des opéras, les répétitions commençaient normalement un mois avant la création et au moins une semaine avant une reprise. Comme le concept de metteur en scène n’existait pas à cette époque, c’est Quinault, avec Lully et le chorégraphe, qui travaillait avec les chanteurs/acteurs pour régler leurs entrées, leurs déplacements, leurs gestes, etc. Par exemple, il est absent de l’Académie pendant la première quinzaine de janvier 1675, juste avant et après la création de Thésée le 10 ou le 11. On constate un rythme similaire avant les créations d’Atys le 10 janvier 1676 et d’Isis le 5 janvier 1677. Quant aux reprises, ses absences des quatre dernières séances de juillet 1677 suggèrent une date du 30 de ce mois pour la reprise d’Isis.

 

Pour le détail des absences prolongées, voir la chronologie et mon article, « Quinault entre deux Académies : de l’Académie française à l’Académie royale de musique ou comment réviser la chronologie des opéras de Lully », dans les mélanges offerts à Jean Duron, Musiques en liberté.

 

Un raisonnement similaire peut expliquer au moins une série d’absences par des représentations d’une de ses pièces parlées. Toutes ces pièces, à l’exception de Bellérophon (janvier 1671), furent créées avant sa réception à l’Académie, mais on continuait à les jouer. La reprise d’Agrippa, roi d’Albe, ou le Faux Tibérinus au Théâtre Guénégaud en octobre 1676 semble avoir été un événement important. Il y eut quatre représentations (2, 4, 23, 25), suivies de deux en juillet 1677 (2, 4) et de deux autres en août 1678 (27, 28). C’était la première pièce du répertoire de la troupe de l’Hôtel de Bourgogne, et la première de Quinault, à être montée par le nouveau théâtre Guénégaud (créé après la mort de Molière en 1673), et Jan Clarke a sans doute raison de dire que c’était pour profiter de la popularité des premiers livrets de Quinault[7]. Cette reprise pourrait expliquer pourquoi Quinault aurait manqué les deux dernières séances de l’Académie en septembre (26, 28), pendant les préparatifs de cette nouvelle production.

 

En revanche, il ne manqua aucune séance pendant la semaine précédant la reprise de sa tragi-comédie Les Coups de l’Amour et de la Fortune au théâtre Guénégaud le 6 août 1677, suivie de trois autres représentations le 8, le 10 et le 13. Comme il avait manqué les quatre dernières séances de juillet, au moment de la reprise d’Isis en août 1677, il s’est peut-être arrangé pour participer aux répétitions sans manquer de séance. Pour l’époque de l’autre reprise d’une pièce de Quinault au Guénégaud, Astrate le 30 septembre 1678, les registres de l’Académie sont incomplets.

 

CONCLUSIONS

·       Quinault est un des membres les plus assidus de l’Académie Française depuis sa réception en 1670 jusqu’à sa mort en 1688.

·       Il participe activement à la préparation du dictionnaire, lit plusieurs de ses œuvres et représente souvent l’Académie comme orateur.

·       Quand ses absences sont prolongées (plus de deux séances consécutives), elles correspondent presque toujours à des répétitions ou à des créations d’opéras de Quinault et Lully.

·       Il est souvent présent pendant la dernière semaine des répétitions avant une création.

·       On peut expliquer plusieurs absences de deux séances consécutives par des raisons similaires, qu’il s’agisse d’opéra ou de pièces parlées.

·       Le fait que ses absences correspondent souvent à des répétitions ou à des créations nous permet de proposer une date plus précise pour quelques créations parisiennes, surtout celles après la relâche de Pâques.

·       Même quand il ne manque pas plus d’une séance dans une semaine, cette absence pourrait s’expliquer par sa présence au théâtre, surtout s’il n’y avait pas beaucoup d’autres séances la même semaine.

 



[1] Correspondance de Roger de Rabutin, comte de Bussy, avec sa famille et ses amis (1666-1693), éd. Ludovic Lalanne, Paris, Charpentier, 1858-1859, t. V, p. 300. Furetière, Factum II, dans Factums. 1685-94, éd. Charles Asselineau et P. A. Cap, Paris, Poulet-Malassis, 1859, t. I, p. 194, n. 2 (note de Furetière). Selon les Registres de l’Académie française, 1672-1793, éd. C. Doucet et G. Boissier, Paris, Firmin-Didot et Cie, 1895-1906, t. I, p. 222, 29 mai 1684, c’est François Charpentier qui harangua le duc, le 9 juin 1684.

[2] Ces deux interventions de Quinault sont décrites après une entrée datée le 29 septembre 1674.

[3]  Furetière, Factums, éd. cit., t. II, p. 354.

[4] Registres de l’Académie Française, t. I, p. 233 et 234, n. 1. La note cite les Factums de Furetière éd. cit., t. II, p. 354.

[5] Quinault, Livrets d’opéra, éd. Buford Norman, 3e éd., Paris, Hermann, 2016, p. 347, 409.

[6]Voir les Registres de l’Académie Française, op. cit., t. I, p. 46 (13 octobre 1672) et 124 (3 octobre 1675).

[7] Jan Clarke, The Guénégaud Theatre in Paris (1673-1680), London, Mellen. Volume One : Founding, Design and Production, 1998 ; Volume Two : The Accounts Season by Season, 2001.