Chaudon

Louis-Mayeul Chaudon (1737-1817) publia, avec la collaboration de Pierre-Jean Grosley et de François Moysant, la première édition de son Nouveau dictionnaire historique [portatif] ; ou Histoire abrégée de tous les hommes qui se sont fait un nom par des talens, des vertus, des forfaits, des erreurs, &c. depuis le commencement du monde jusqu'a nos jours en 1766 : A Caen, chez G. Le Roy, imprimeur du Roi, Hôtel de la Monnoie, rue Notre-Dame.


Il y en eut au moins six autres éditions jusqu'en 1789. Il fut largement imité, traduit et contrefait. Voir, par exemple, le dictionnaire de Feller (1781).

On peut consulter l'édition de 1783 sur Gallica (p. 311-314) et celle de 1785 (p. 304-307 ; transcrites ci-dessous) sur Google Books.

QUINAULT, (Philippe) naquit en 1636, d'une famille honnête, & non pas d'un boulanger comme l'insinue Furetiére dans son Factum contre l'Académie. Quand tout ce que ce satyrique a dit sur la prétendue bassesse de son extraction, seroit vrai, Quinault n'en seroit que plus louable, d'avoir si bien réparé, par ses talens & par sa politesse, le tort de sa naissance. Tristan l'Hermite, qui avoit vieilli dans la carriére du théâtre, fut le maître de poésie de Quinault. On a même prétendu que celui-ci fut son domestique ; & c'est ce faux bruit qui donna lieu à cette Epigramme :

Elie, ainsi qu'il est écrit,

De son manteau, joint à son double esprit,

Récompensa son serviteur fidèle :

Tristan eût suivi son modèle;

Mais Tristan, qu'on mit au tombeau,

Plus pauvre que n'est un Prophète,

En laissant à Quinault son esprit de Poète,

Ne put lui laisser de manteau.

Les leçons de Tristan ne furent point inutiles à Quinault ; mais il dut davantage à la nature. Il se fit connoître avant l'âge de 20 ans par quelques Piéces de théâtre, qui eurent assez de succès ; & avant l'âge de 30 ans, il en donna 16, dont plusieurs obtinrent les suffrages du Parterre. Elles furent jouées depuis 1654 jusqu'en 1666. Les Rivales, Comédie, en 1653. L'Amour indiscret, ou le Maître indiscret, Comédie, en 1654. La Comédie sans Comédie, en 1654. La généreuse Ingratitude, Tragi-Comédie, en 1656. Stratonice, Tragi-Comédie, en 1657. Les Coups de l'Amour & de la Fortune, Tragi-Comédie, en 1657. Amalasonte, Tragédie, en 1658. Le Feint Alcibiade, Tragi-Comédie, en 1658. Le Fantôme amoureux, Tragi-Comédie, en 1659. Agrippa, ou le faux Tiberinus, Tragi-Comédie, en 1660. Astrate, Roi de Tyr, Tragédie, en 1663. La Mere coquette, ou les Amans brouillés, Comédie, en 1664. Bellérophon, Tragédie, en 1665. Pausanias, Tragédie, en 1666. Toutes ces piéces sont en vers & en cinq actes. L'Astrate eut un si grand succès, qu'on la joua pendant trois mois; Sallo en fit l'éloge dans le Journal des Sçavans ; & Boileau la ridiculisa:

C'est-là ce qu'on appelle un ouvrage achevé ;

Sur-tout l'anneau royal me paroît bien trouvé.

Son sujet est conduit d'une belle maniére,

Et chaque acte en sa piéce, est une piéce entiére.

Les autres Tragédies de Quinault ne réussirent pas autant qu'Astrate. S'appercevant qu'une de ses piéces étoit mal reçue, il dît à un courtisan que la scène étoit en Cappadoće, qu'il falloit se transporter dans ce pays-là, & entrer dans le génie de la nation. Vous avez raison, répondit le courtisan : franchement je crois qu'elle n'est bonne qu'à être jouée sur les lieux. On prétend que ce furent ces premiers essais de Quinault, qui aigrirent Boileau contre lui. Point de régularité dans le plan, point de force dans le style ; des amours romanesques ; un ton de galanterie de ruelle dans les endroits même qui exigeoient un pinceau mâle & un coloris vigoureux : c'en étoit trop pour ne pas exciter la bile du Juvénal François. Il couvrit de ridicule le jeune poëte ; il lui reprocha que dans ses piéces doucereuses & languissantes, « tout jusqu'à JE VOUS HAIS, se disoit tendrement. » Quinault, né sensible, mais foible & timide, voulut trouver dans les loix un frein à la satyre. Il demanda aux Magistrats qu'ils fissent ôter son nom de celles qui faisoient tant de bruit ; mais ses démarches furent inutiles. Son ennemi l'en insulta plus cruellement, & lui dît dans une épigramme :

Tourmente toi moins…

… pour faire ôter ton nom de mes ouvrages ;

Si tu veux du public éviter les outrages,

Fais effacer ton nom de tes propres écrits.

Cependant Quinault, qui avoit mêlé l’étude du droit à celle de la rime, arrangea les comptes d’un riche marchand que ses associés inquiétoient. Il eut occasion de connoître sa femme, & après la mort du mari, qui arriva quelque tems après, il l'épousa. Devenu riche par ce mariage, il acheta, en 1671, une charge d'auditeur en la chambre des Comptes. Cette compagnie fit quelques difficultés à sa réception ; & c'est à cette occasion qu'un plaisant fit l'épigramme qui finit ainsi :

Puisqu'il a fait tant d'auditeurs,

Pourquoi l'empêchez-vous de l'être?

Il avoit été reçu l'année d'auparavant à l'académie Françoise; ses Opéra lui avoient mérité une place dans cette compagnie. Il étoit le premier homme de son siécle en ce genre. Lulli le préféra à tous les autres poëtes, parce qu'il trouvoit en lui seul toutes les qualités qu'il cherchoit : une oreille délicate, qui ne choisit que des paroles harmonieuses ; un goût tourné à la tendresse, pour varier en cent maniéres les sentimens consacrés à cette espèce de Tragédie ; une grande facilité à rimer, pour être toujours disposé à se prêter aux divertissemens de Louis XIV ; & une extrême docilité de se plier aux idées du Musicien. Il possédoit, dans un très-haut degré, le talent de la déclamation ; & Lulli lui faisoit souvent réciter ses vers, jusqu'à ce qu'il eût saisi les inflexions de sa voix, pour les faire passer dans son récitatif. De-là sans doute cette expression toujours juste qu'on admire dans sa Musique, qui est comme une déclamation notée. On avouera cependant que le Poëte étoit à quelques égards supérieur au Musicien, & que cet artiste a manqué plusieurs des tableaux poëtiques que Quinault lui avoit donnés. Que d'invention, que de naturel, que de sentiment, que d'élévation même quelquefois, enfin que de beautés d'ensemble & de détail dans ses Poëmes Lyriques ! Il faudroit avoir bien peu de goût, ou des préventions bien fortes, pour n'être pas sensible aux charmes d'Alceste, de Thésée, d'Atys, de Phaeton & d'Armide. On l'a blâmé de ce que sa versification étoit sans nerf & sans force, Plaisant reproche ! Une versification forte eût été un défaut dans les Opéra ; comme la poësie douce & coulante de Quinault en seroit un dans une Satyre. Boileau seroit aujourd'hui bien étonné de voir ce Quinault qu'il outrageoit, mis par la postérité sur la même ligne que lui, & peut-être au-dessus. L'acharnement du Satyrique contre le Lyrique paroît à présent d'autant plus insupportable, que quand Despréaux voulut faire un Prologue d'Opéra, pour donner un modèle en ce genre, il fit un ouvrage médiocre, qui n'approchoit pas des Prologues de ce même Quinault, qu'il affectoit tant de rabaisser. Lorsque ces deux poètes se furent réconciliés, Boileau conserva encore un peu de fiel. Comme Quinault lui montroit toujours quelque ouyrage chaque fois qu'il alloit le voir, le Satyrique disoit à ses amis : Il me semble qu'il n'a voulu se raccommoder avec moi, que pour me parler de ses vers, & il ne me parle jamais des miens... Quinault avoit le don de la parole. Il eut l'honneur de haranguer le roi, au nom de l'académie Françoise, au retour de ses campagnes de 1675 & 1677. Ayant appris la mort de Turenne au moment qu'il alloit parler, il fit une digression, aussi ingénieuse que touchante, sur ce héros. A peine sortoit-il de sa 53 année, qu'il se sentit assailli de dégoûts, d'insomnies, de langueurs : pendant deux ou trois mois, il se sentit mourir, pour ainsi dire, plusieurs fois par jour, ayant continuellement des défaillances. L'idée de Lulli, mort l'année précédente sans beaucoup de préparation, l'avoit frappé il pensa à faire une mort chrétienne. Il commença un Poëme sur l'extinction de la Religion Prétendue-Réformée dans le royaume; voici les quatre premiers vers:

Je n'ai que trop chanté les jeux & les amours,

Sur un ton plus sublime il faut me faire entendre :

Je vous dis adieu, Muse tendre,

Je vous dis adieu pour toujours !

Il se repentit d'avoir consacré son tems à ses Opéra, auxquels il a dû son immortalité : & ses regrets étoient bien justes ; car l'amour & la volupté y sont parés de toutes les graces de la poësie & de la musique ces deux arts réunis sur un Théâtre profane, font toujours des impressions dangereuses sur un jeune cœur. Quinault, plein de repentir, mourut dans de grands sentimens de religion le 26 Octobre 1688, dans sa 54° année ; après avoir composé pour lui-même cette Epitaphe, dont la simplicité est remarquable:

Passant, arrête ici pour prier un moment ;

C'est ce que des Vivans les Morts peuvent attendre.

Quand tu feras au monument,

On aura soin de te le rendre.

Quinault étoit un homme aimable, d'une société douce, d'une conversation agréable, d'une politesse attentive & prévenante. Il plut aux grands, il ne dédaigna pas les petits : également éloigné des défauts qui choquent à la cour, & de ceux qui font haïr dans le monde. Il jouit de l'aisance qu'il méritoit. Sa femme lui avoit apporté plus de 100 mille écus ; le roi lui donnoit 2000 liv. de pension, & Lulli lui payoit chaque Opéra 4000 liv. Cependant il se plaint de la médiocrité de sa fortune dans ces jolis vers ; mais c'est une plainte de poète.

C'est, avec peu de bien, un terrible devoir,

De se sentir pressé d'être cinq fois beau-pere.

Quoi ! cinq Actes devant Notaire,

Pour cinq filles qu'il faut pourvoir !

O Ciel! peut-on jamais avoir

Opéra plus fâcheux à faire ?

Ses Opéra, outre ceux que nous avons nommés, sont : Les Fetes de l'Amour & de Bacchus, Cadmus, Isis, Proserpine, le Triomphe de l'Amour, Persée, Amadis, le Temple de la Paix... Quinault est encore auteur, I. De quelques Epigrammes, dont la poésie est foible. II. De la Description de la Maison de Sceaux, petit Poëme écrit avec délicatesse. III. De différentes Piéces de Poësie, répandues dans les Recueils du tems. Ses Piéces dramatiques, conservées au Théâtre, sont Agrippa ou le faux Tiberinus ; Astrate, Tragédies; la Mere coquette, Comédie, nouvellement réparée par M. Collé. Ses ŒUVRES ont été imprimées avec sa Vie à Paris, 1739 & 1778, 5 vol. in-12.