Barral

PAGE EN CONSTRUCTION

L'abbé Pierre BARRAL (ca. 1700-1772), vicaire général de Montpellier, était un janséniste ardent. Il était auteur d'un recueil de "pensées ingénieuses" extraites des lettres de Mme de Sévigné et d’un Dictionnaire portatif, historique, geographique et moral de la Bible, pour servir d'introduction à la lecture de l'Ecriture Sainte, 1756, 1759, 1779.

 

Son Dictionnaire historique, littéraire et critique, contenant une idée abrégée de la vie & des ouvrages des hommes illustres en tout genre, de tout tems & de tout pays, parut en Avignon en 1758-1759, 6 vol. in 8o. L'article sur Quinault se trouve au tome V, p. 21-23. (La numérotation des pages recommence à zéro après les P.)

QUINAUT, (Philippe) Poëte François, né en 1635 l'une honnête famille : il fut formé dès l'enfance à la Poësie, pour laquelle il avoit du talent, par Tristan l'Hermite, qui avoit vieilli dans la carrière du Théâtre. Quinaut n'avoit que dix-huit ans lors qu'il fit représenter les Rivales, Comédie qui eut beaucoup de succès. Cette pièce fut suivie de quinze autres, qui furent jouées depuis 1654 jusqu'en 1666. Toutes ces pièces, qui firent pendant quelque tems les délices de Paris, sont oubliées aujourd'hui ; & à l'exception peut-être de la Mère Coquette, ne méritent que trop les traits que Despréaux a lancés contre leur Auteur. Ses Tragédies surtout, où l'on ne remarque aucune régularité, où l'amour paroît toujours le principal but, où l'on ne trouve aucun sentiment mâle & vertueux, mais au contraire où tous les sentimens sont tournés à la tendresse, jusque dans les endroits où l'on ne devroit exprimer que de la haine ou de la douleur, où regne enfin un tour fade & doucereux, furent très-bien caractérisées par le redoutable Censeur.

Les héros dans Quinaut parlent bien autrement,

Et jusqu'à je vous hais tout s'y die tendrement.

Cependant Quinaut ne s'en tint pas au travail stérile du Théâtre ; il y joignit l'étude du Droit, à laquelle il fut redevable de sa fortune : car un riche Marchand que ses associés inquiétoient, ayant eu recours à lui pour mettre ses comptes en règle, il y réussit,

/p. 22/

& le délivra de toutes chicanes. Etant mort quelque tems après, Quinaut épousa sa veuve, qui le mit en état d'acheter une charge d'Auditeur des Comptes, & dès-lors il renonça au Théâtre de la Comédie : mais il se livra à un autre genre dans lequel il eut plus de succès. Louis XIV, ayant goûté l'Opéra, qui ne faisoit que de naître en France, l'engagea à composer ces sortes d'Ouvrages, & pour l'encourager, lui donna une pension de 2000 livres. D'ailleurs Lully qui en composoit la Musique, fut charmé de trouver en lui un Poëte tel qu'il le desiroit, dont la versification sans force & sans nerf se prêtoit docilement aux pensées, & même au caprice du Musicien. Il en composa de ce genre depuis 1672 jusqu'en 1686, & on ne peut disconvenir que ce ne soient ces pièces qui ont fait toute sa réputation. Cependant le Satirique ne changea pas d'avis sur son compte, & soutenoit encore après la mort de ce Poëte, que c'étoit un homme d'esprit, qui avoit un talent particulier pour faire des Vers propres à mettre en chant ; mais que ces Vers n'avoient ni force ni élévation, & que c'étoit ce qui les rendoit propres au Musicien, auquel ils doivent leur principale gloire. En effet, à peine trouveroit-on 500 beaux vers dans tous ses Opéra ; mais encore est-ce toûjours la même chose retournée en cent façons, sans parler de ce qu'il y a de monstrueux ou de ridicule dans la plupart. Il est un plus grand reproche qu'on peut faire à ce Poëte, justement blâmable de n'avoir chanté que l'amour & la volupté, & d'avoir décrédité les vertus en tâchant de rendre les vices aimables. Seş Vers ne prêchent que

La morale lubrique

Que Lully réchauffa des sons de sa musique.

Despréaux, ce zélé partisan de la vertu, ce Censeur austère du vice, n'est donc que louable de s'être opposé avec force au ravage que peuvent faire dans les bonnes mœurs & aux funestes impressions que peuvent laisser dans des imaginations tendres les Poësies de Quinaut, chantées par des VOIX LUXURIEUSES. La corruption, dit le grand Bossuet, est réduite en maximes dans les Opéra de Quinaut avec toutes les fausses tendresses & toutes ces trompeuses invitations à jouir du beau tems de la jeunesse, le tout animé d'un chant qui ne respire que la mollesse, & dont les accens des Chanteurs & des Chanteuses sont proportionnés aux récits & aux vers. Quinaut lui-même en a fait l'aveu & a déploré ses égaremens lorsqu'il a pensé à son salut. Sur

/p. 23/

la fin de sa vie, il résolut de ne plus chanter que les louanges de Dieu & les grandes actions de son Prince, & il commença par un Poëme sur l'extinction de l'hérésie en France, dont voici les premiers vers, qui sont un aveu de ses fautes :

Je n’ai que trop chanté les jeux et les amours,

Sur un ton plus sublime il faut me faire entendre ;

Je vous dis adieux, Muse tendre,

Je vous dis adieux pour toujours

Ce Poëme & quelques autres Poësies de Quinaut, n'ont jamais été imprimées. Mais on a de lui quelques Epigrammes assez ingénieuses, la Description de la Maison de Sceaux, petit Poëme écrit avec esprit, & quelques Poësies répandues dans différens Recueils. Ayant été reçu à l'Académie Françoise en 1670 il harangua deux fois le Roi à la tête de son Corps ; & dans une de ces occasions la mort du grand Turenne, qu'il apprit au moment qu'il alloit parler, lui fit faire une digression très-spirituelle sur ce héros. Il eut une maladie de deux mois pendant laquelle il redoubla ses regrets d'avoir empoisonné les Pièces lyriques d'un amour efféminé qui auroit fait rougir d'honnêtes Payens ; & il mourut Chrétien & pénitent en 1688, âgé de 53 ans. C’étoit un homme d’un caractère doux, aimable, & sans fiel.