Marguerite Quinault

Marguerite-Geneviève Quinault, probablement la troisième ou la quatrième fille de Quinault et de Louise Goujon, fut baptisée le 16 novembre 1665. Elle était déjà pensionnaire au couvent de la Visitation à Montargis au moment de la mort de son frère Pierre Philippe le 10 décembre 1675. Elle reçut, avec ses deux soeurs Geneviève et Charlotte, une pension de ses parents le 15 juillet 1684. Elle est morte le 20 février 1703, à l'âge de 37 ans, dont 20 de profession. Elle avait 17 ans quand elle prit le voile, donc à la fin de 1682 ou en 1683.


Le 20 février 1703, notre chère Sœur Louise-Marguerite Quinault décéda en notre Monastère de Montargis. Dieu, dans ses desseins d'amour et de miséricorde, l'avait destinée, comme autrefois le Psalmiste, à trouver son /p. 497/ humiliation dans l'élévation de son esprit. Toute sa vie s'écoula sur le Calvaire, environnée d'amertumes et de peines, et accablée par des souffrances de tout genre.

Cependant, sa naissance fut heureuse selon le monde. Monsieur son Père, Auditeur des comptes, tenait un rang distingué dans l'Académie française, avec la réputation d'un des beaux esprits de son siècle. Notre chère Sœur avait hérité de ces brillantes qualités ; aussi trouvait-elle un doux plaisir dans la conversation d'un jeune frère qui, à cinq ans, passait pour un prodige et surprenait tout le monde par la sagesse de ses discours. La mort de cet enfant, d'une intelligence si étonnante, fut une des premières croix que Mlle Quinault fut appelée à porter ; elle lui sembla bien lourde. L'éloignement la lui adoucit cependant ; elle était alors déjà placée chez nos Sœurs de Montargis, avec une de ses Sœurs cadettes.

La Communauté remarqua bientôt la vive pénétration de la petite pensionnaire, âgée seulement de dix ans, ainsi que la justesse de ses raisonnements ; mais son tempérament mélancolique eut une funeste influence sur sa santé : elle devint languissante, et l'esprit se ressentit des souffrances du corps. La pauvre enfant ne trouva plus que de l'ennui dans la vie du cloitre ; cependant, elle ne se sentait aucun penchant pour celle du monde, dont elle ne voulait pas embrasser les engagements. Elle s'ouvrit de ces dispositions à Monsieur son Père, qui n'y fit que peu d'attention ; il savait que la plupart des jeunes personnes ont ces sortes de velléités dans le temps où l'on ne peut encore songer à les satisfaire, et, avec sa bonté ordinaire, il l'engagea à patienter, lui promettant de la seconder plus tard, si elle persévérait dans l'éloignement qu'elle ressentait pour le siècle. Notre chère Sœur regarda ce délai comme un arrêt du ciel qu'il fallait subir ; elle ne songea donc plus qu'à bien se rétablir, et attendit en patience que la volonté divine se manifestât. Ce moment arriva bientôt; elle put entrer au noviciat, où la douceur de son esprit la rendit fort docile à tout ce qu'on demandait d'elle. Après de rudes épreuves, elle eut le bonheur de se revêtir des saintes livrées et de prononcer les vœux sacrés. Une de ses plus grandes luttes fut de combattre sa nature, ennemie de tout travail corporel ; elle y avait une incroyable répugnance, ainsi qu'à tous les assujettissements de la religion.

Les années qui suivirent la profession de notre chère Sœur Louise-Marguerite se passèrent dans de grands scrupules ; elle se troublait des plus légères fautes, quoiqu'elles fussent involontaires, et le reste de ses jours elle fut affligée des idées les plus désolantes. Tous les fléaux de la colère de Dieu semblaient avoir fondu sur son âme ; elle ressentait, disait-elle, l'effusion de la divine fureur comme si la porte de la miséricorde lui eût été fermée. Accablée de peines et de craintes au sujet de sa prédestination, son état de souffrances augmentait encore ses terreurs par l'impuissance où elle se voyait de remplir ses obligations. Elle respectait grandement tous ses devoirs, quoiqu'elle n'eût jamais éprouvé un seul moment le goût sensible de sa vocation, ni le moindre sentiment de confiance en Dieu. /p. 498/

Ainsi privée de toutes douceurs dans ses exercices, elle n'agissait que par la foi pure et surnaturelle, dont elle faisait les actes par la fine pointe de l'esprit, car elle souffrait des doutes martyrisants sur toutes les vérités que la sainte Église nous propose. « Quand je considère mon état, disait-elle avec Job, j'en suis effrayée et j'en tremble de tout le corps ; » mais, c'est précisément au milieu de ces doutes cruels qu'a relui la grandeur de sa foi et l'éminence de sa vertu. Par des renoncements continuels, elle a combattu avec une fidélité qui aurait dû l'exempter de la moindre crainte ; jamais elle ne se laissa surmonter par ses peines ni terrasser par son ennemi, quelles que fussent les tentations. Une fois, Dieu la consola par une visite délicieuse ; elle sentit alors les suaves douceurs du divin amour, qui habituellement, par sa force secrète, la faisait agir sans qu'elle le soupçonnât. Son âme aurait bien souhaité une plus longue trève aux pénibles frayeurs dont elle était accablée ; mais Dieu la faisait passer par des vallées sèches et arides pour l'obliger à creuser ces citernes que les rosées du ciel remplissent avec abondance. Comme on connaissait la voie crucifiante par laquelle notre chère Sœur était conduite, on était étonné de l'entendre discourir sur les grandeurs de Dieu et sur les mystères de notre sainte religion avec un feu qui embrasait ceux qui étaient présents. Elle-même, pendant qu'elle parlait, semblait tout enflammée, mais elle ne s'en apercevait point ; le Seigneur lui faisait la grâce de cacher ses saintes opérations pour augmenter les mérites de sa fervente Épouse ; desseins merveilleux, qu'on est obligé d'admirer sans chercher à les approfondir.

   Les peines de notre Sœur Louise-Marguerite lui causaient une confusion qu'aucune expression ne saurait rendre, parce qu'elles venaient en partie de ce que son esprit, élevé et pénétrant, voulait trop subtiliser. Cette humiliation mettait un juste contre-poids à la complaisance naturelle que notre bien-aimée Sœur aurait pu prendre en elle-même pour ses grandes connaissances et son bon jugement. Tout occupée et pénétrée de ses faiblesses, elle croyait passer pour un esprit blessé, en danger de faire naufrage et de se perdre en ses propres idées ; cependant, malgré ces réflexions, elle se soumettait avec la simplicité d'une enfant aux personnes qui avaient reçu du ciel mission pour la diriger, car elle n'ignorait pas cette parole du Sage : Celui qui se gouverne lui-même est conduit par un insensé.

Les embarras de sa conscience lui rendaient la fréquentation des sacrements fort pénible ; mais sa merveilleuse docilité fut victorieuse de ses craintes, qui disparurent à tel point, lorsque la dévotion au sacré Cœur de Jésus fut révélée, que notre chère Sœur, dans son grand zèle pour la sainte communion, tirait des forces de sa faiblesse et de ses extrêmes langueurs pour s'unir à ce principe de vie. Rien n'était plus sublime que ses pensées sur le Cœur de Notre-Seigneur, et rien de plus élevé que le vol de son esprit qui lui découvrait, jusque dans leur source, les plus grandes et les plus douces vérités ; aussi le Confesseur disait-il souvent que notre Sœur Louise-Marguerite avait des connaissances et des lumières bien au-dessus /p. 499/

de la portée d'une femme. Elle ne se servit de son talent pour la poésie que pour composer des cantiques pieux ; on en a trouvé une quantité dans ses papiers ; il y en avait surtout de fort dévots en l'honneur du sacré Cœur de Jésus.

Notre bien-aimée Sœur pouvait s'appliquer ces paroles du Sage : « Dieu m'a fait la grâce de parler selon ce que je sens dans mon cœur, et d'avoir des pensées dignes des dons que j'ai reçus. » Elle avait besoin de ce secours pour se soutenir dans les extrêmes infirmités auxquelles le Seigneur la disposa en lui faisant entendre qu'il l'assujettirait, et la ferait entrer dans tous les liens de son alliance. Ses maux eurent pour principe un squirrhe au foie qui l'obligea de garder le lit pendant cinq années consécutives. Sa douceur et sa soumission durant cette épreuve ont grandement édifié, ainsi que sa patience en certaines circonstances fort pénibles et mortifiantes, qui naissaient du doute qu'on avait sur la gravité de son mal. Douée d'une beauté remarquable, notre chère Sœur conserva longtemps sa fraicheur et son embonpoint, ce qui suggérait à certaines personnes mille petits mots pénibles que l'ouïe très-fine de la pauvre malade lui transmettait fidèlement. Son cour généreux acceptait alors ces précieuses parcelles de la croix de son Époux et les serrait tendrement sans conserver ni fiel ni aigreur contre ceux qui augmentaient ainsi ses souffrances. Seigneur, s'écriait-elle alors avec Job, vous me tourmentez merveilleusement; ou bien : Châtiez-moi, Seigneur, mon âme s'y résigne, mais purifiez-moi dans votre bonté et non pas en votre fureur, de peur que vous ne me réduisiez au néant.

   Lorsque, dans l'excès de ses maux, notre édifiante malade laissait échapper une légère impatience, elle réparait immédiatement sa faute avec tant d’humilité, que le cœur du divin Maître devait en être touché; aussi lui accorda-t-il pendant ses trois derniers mois une douceur si remarquable, qu'on ne lui voyait plus commettre l'ombre d'une imperfection. Dans ce temps-là même une hydropisie monstrueuse la rendit un objet digne de pitié; les sudorifiques diminuèrent cette enflure, mais amenèrent bientôt l'étisie. Son état offrant un grand danger, on dut l'administrer ; cependant elle vécut encore six semaines au milieu de ces douleurs. Peu de jours avant d'expirer elle reçut avec une ardeur séraphique le Pain de vie, dont elle était devenue insatiable. Enfin un transport au cerveau vint mettre la dernière fleur à la couronne qu'une vie si constamment crucifiée avec Jésus-Christ lui avait acquise. Elle était âgée de trente-sept ans, dont vingt de profession. 

Année Sainte des religieuses de la Visitation Sainte-Marie. Tome II, février. Annecy, Charles Burdet, 1867, p. 496-499 

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Soit d'abord Montargis où nous appelle Sœur Louise-Marguerite Quinault, décédée le 20 février 1703 dans sa 37e année. Elle avait hérité des qualités brillantes de son illustre père que ses opéras ont rendu célèbre. Une fois entrée au Couvent dans sa 17e année, Sœur Louise dut traverser bien des scrupules et des sécheresses, mais lorsque la dévotion au Sacré Cœur lui fut révélée, toutes ses craintes disparurent. Rien n'était plus sublime que ses pensées sur ce Cœur adorable ; rien de plus élevé que le vol de son esprit pour atteindre, jusque dans leur centre, les plus majestueuses et les plus douces vérités. Elle ne se servit de son talent pour la poésie que pour composer des cantiques. On en a trouvé une quantité dans ses papiers, il y en avait de fort dévots à l'honneur du Sacré Cour.

L. P. E. [Edmond] Letierce, Le Sacré-Coeur et la visitation de Sainte-Marie, Paris, Vic et Amat, 1890, p. 426