Lambert

   L’Histoire littéraire du règne de Louis XIV, du prêtre jésuite Claude-François Lambert (1705-1765), parut à Paris chez Prault/Guillyn/Quillau en 1751, en trois volumes. Le premier est consacré aux orateurs, aux avocats et aux historiens, le deuxième aux scientifiques et aux poètes, et le troisième aux artistes (peintres, sculpteurs, graveurs, architectes). Une des originalités de l’ouvrage est la présence, au dernier volume, de notices sur les dames savantes, dont Mlle Serment.

   La notice sur Quinault se trouve au tome II, p. 401-404.

PHILIPPE QUINAULT.

PHILIPPE QUINAULT, Auditeur de la Chambre des Comptes, l’un des Quarante de l'Académie Françoise, naquit à Paris en 1635, d'une bonne famille, & non d'un Boulanger, comme l'a témerairement avancé Ménage, dans un ouvrage tissu d'impostures.

Ce fut sous le célebre Tristan l'Hermite que le jeune Quinault cultiva le talent extraordinaire qu'il avoit pour la Poësie. Mais il ne fit pas de cet art son unique étude, il y joignit celle du Droit, & ce fut à cette derniere étude qu'il dut en quelque façon sa fortune ; puisqu'elle lui fournit l'occasion de rendre service à un riche Marchand de Paris, qui mourut peu de tems après, & dont il épousa la veuve, ce qui le mit en état d'acheter une charge d'Auditeur des Comptes.

M. Quinault n'avoit pas encore vingt ans qu'il avoit déja commencé de travailler avec succès pour le Théâtre ; & ses piéces firent pendant dix ou douze ans les délices de Paris & de toute la Cour, quoique les connoisseurs prétendissent qu'il n'y en avoit aucune où les régles du Théâtre fussent parfaitement observées. « Imagination toute pure, dit M. Perrault, & qui n'avoit point d'autre fondement que la fausse prévention où ils étoient, qu'un jeune homme qui n'avoit pas étudié à fond la politique d'Aristote, ne pouvoit faire de bonnes piéces de Théâtre ».

Mais une louange que l'on ne peut refuser à cet homme célebre, c'est d'avoir porté la Poësie Lyrique du Théâtre au plus haut point de perfection où elle pût parvenir ; aussi le fameux Lully le préfera-t'il à tous les autres Poëtes de son tems, comme étant le seul qui pût parfaitement réussir dans ce genre de Poësie ; & il est vrai, comme le remarque

M. l'Abbé d'Olivet, que « M. Quinault réunissoit dans lui diverses qualités, dont chacune en particulier avoit son prix, & dont l'assemblage faisoit un homme unique en son genre : une oreille délicate pour ne choisir que des paroles harmonieuses, un goût tourné à la tendresse, pour varier en cent & cent maniéres les sentimens consacrés à cette espéce de Tragédie, une grande facilité à rimer, une docilité encore plus rare pour se conformer aux idées ou même aux caprices du Musicien.

Ce fut pendant qu'il étoit occupé à travailler à un Opéra, dont le sujet lui avoit été prescrit par le Roi, qu'il fit les jolis vers suivans,

Ce n'est pas l'Opera que je fais pour le Roi,

Qui m'empêche d'être tranquille ;

Tout ce qu'on fait pour lui paroît toujours facile.

La grande peine où je me voi,

C'est d'avoir cinq filles chez moi,

Dont la moins âgée est nubile.

Je dois les établir & voudrois le pouvoir,

Mais avec Apollon on ne s'enrichit gueres,

C'est avec peu de bien un terrible devoir,

De se sentir presse d'être cinq fois beau-pere,

Quoi, cinq actes devant Notaire,

Pour cinq filles qu'il faut pourvoir !

O Ciel! peut-on jamais avoir

Opéra plus fâcheux à faire ?

Mais le fait est que cette espéce d'Opéra n'avoit rien de fort embarassant pour M. Quinault: plus de cent mille écus que sa femme lui avoit apportés en mariage, une pension de deux mille francs que le Roi lui faisoit, quatre mille livres qu'il recevoit pour chaque Opéra de sa composition, le mettoient assurément bien en état de faire aisément cet Opéra qui lui paroissoit si difficile. De ses cinq filles, trois ont été Religieuses, & les deux autres ont été avantageusement mariées; l'une à M. le Brun, Auditeur des Comptes, & l'autre à M. Gaillard, Conseiller à la Cour des Aydes.

Quelque éclatant qu'ait été le mérite de cet homme célebre, consideré avec raison comme le Prince des Poëtes Lyriques de son tems, il n'a pu cependant échaper à la sévere critique de M. Despréaux. Il est vrai que ce rigide censeur dit dans la Préface de ses œuvres, qu'il n'a point prétendu qu'il n'y ait beaucoup d'esprit dans les Ouvrages de M. Quinault.... « J'ajouterai que dans le tems que j'écrivis contre lui, nous étions tous deux fort jeunes, & qu'il n'avoit pas fait alors beaucoup d'Ouvrages, qui lui ont dans la suite acquis une juste réputation ».

Mais ce qui fait un honneur infini à la modération de M. Quinault, c'est que loin de conserver quelque animosité contre celui qui l'avoit cruellement déchiré, il parut au contraire très empressé à rechercher son amitié.

La Poësie ne fut pas le seul talent, par lequel ce grand homme se distingua. Le beau discours qu'il prononça le jour de sa réception à l'Académie, & les deux harangues qu'il fit au Roi sur ses conquêtes, à la tête de cette illustre Compagnie, sont de glorieuses preuves du goût particulier qu'il avoit pour l'éloquence. Il fit surtout briller la sienne, lorsqu'ayant appris la mort du Marêchal de Turenne, dans le moment qu'il se disposoit à aller haranguer le Roi, il en parla sur le champ, mais avec tant d'esprit & dans des termes si nobles & si bien choisis, qu'il ravit l'admiration de toute la Cour.

Régulier dans ses mœurs & dans sa conduite, exact observateur de tous ses devoirs, bon ami, bon mari, bon pere de famille, il se rendit autant aimable par les qualités de son cœur, qu'estimable par celles de l'esprit. Sur la fin de sa vie il parut pénetré d'un vif regret d'avoir consacré ses talens au Théâtre, & il forma la résolution de ne plus chanter dans ses vers que les louanges de Dieu, & celles de son Roi. Il commença en effet par une piéce qu'il composa sur l'extinction de l'héresie en France, & dont voici les quatre premiers vers.

Je n'ai que trop chanté les jeux & les amours,

Sur un ton plus sublime, il me faut faire entendre.

Je vous dis adieu, Muse tendre,

Je vous dis adieu pour toujours.

M. Quinault n'étoit âgé que de cinquante-trois ans lorsqu'il tomba dans une maladie de langueur qui l'enleva au bout de deux mois de souffrances. Sa mort arriva le 28 Novembre 1688. Il fut inhumé dans l'Eglise de Saint Louis dans l'isle, sa parroisse.

Outre seize piéces de Théâtre & quatorze Opéras que nous avons de lui, on trouve encore dans divers recueils différentes Poesies de sa composition.