Baudeau de Saumaize

On connaît peu de choses de Saumaize, à part les ouvrages qu'il écrivit autour des Précieuses ridicules de Molière (1659). Comme le dit É. Gros, il fut "un des ennemis les plus implacables" de Quinault (p. 36).

La Pompe funèbre de Scarron (1660), p. 8

On demande à Scarron de choisir un successeur. Le premier nom proposé est celui de Quinault :

Le Deputé des Comediens lui [à Scarron] proposa Monsieur Quinault, & l’assuroit qu’il s’il voulait s’attacher au Comique, il y réüssiroit tout à fait bien, & et que ses Rivalles en faisoient foy. Le Libraire s’opposa vigoureusement à ce choix, & dit que veritablement Monsieur Quinault avoit de l’esprit, & et qu’il avoit trouvé l’art de réussir au Theatre ; mais qu’il n’avoit pas encore trouvé celuy de réussir au Palais. 

[Le "Palais" est le Palais de Justice, siège des libraires. Sur ce passage et le succès de Quinault en librairie, voir William Brooks, Philippe Quinault, Dramatist, p. 282-283.]

Voir Le Songe du Resveur, réponse à l'oeuvre de Somaize qui parut peu de temps après.


Les Véritables précieuses (1660)

scène 7, LE POÈTE

[…] son Stilicon [Th. Corneille] est tout à fait beau. Nous avons encore vu cet hiver le Fédéric [Boyer] qui a fort réussi, et c’est sans doute avec quelque raison, puisqu’il ne part rien de la veine de son auteur qui ne soit plein de feu, témoin sa Clotilde, où la boutade est bien exprimée. Ces deux pièces ont été accompagnées de la Stratonice, dont le style est tout différent, l’auteur de cette pièce ne s’attachant qu’a faire des vers tendres, où il réussit fort bien.


Le Grand dictionnaire des précieuses (1661)

DALMOTIE [Mme d’Oradour] […] est encore célèbre pour avoir mis au monde un auteur qui chancelait sans son secours ; ce jeune homme a fait parler de lui dans toute Athènes [Paris], et a, sans mentir, eu plus de bonheur de que mérite. Les derniers succès des ses ouvrages en font foi, et nous font assez connaître qu’il faut quelque autre chose que la routine ordinaire de faire des vers pour bien traiter des allégories. Cet auteur s’appelle Quirinus [Quinault], et a autrefois été à Tisimante [Tristan], gentilhomme fort estimé parmi le grand monde pour les beaux ouvrages qu’il a faits, et dont Quirinus s’est assez bien servi. Cette aimable précieuse le releva de son penchant, il y a environ trois ans, qu’il tournait vers son occident. […] *

FLORELINDE [Mlle de Fourilles] […] demeurait autrefois chez l’illustre et spirituel Tiridate [M. Testu, chevalier du guet], son cousin, protecteur des jeux du cirque [théâtre] et surtout de ceux de l’auteur Quirinus [Quinault]. Aux noces de cette précieuse, qui fut mariée chez lui, il ne manqua pas de faire jouer une pièce de ce même Quirinus, dont les ouvrages ont plus d’obligation aux louanges de ce galant homme qu’à leurs naturels agréments. […]

HÉRÉSIES. […] Depuis quelque temps, il s’est encore glissé une opinion parmi elles qui a divisé ce grand corps en deux, et la question sur quoi elles sont partagées est de savoir si les ouvrages de Quirinus [Quinault] sont bons ou s’ils ne le sont pas. […] il m’est permis de rendre témoignage à la vérité et de dire que l’opinion qui les condamne est soutenue et autorisée de l’aveu des plus célèbres précieuses et de celles à qui l’on doit le plus de déférence et de respect, comme l’on pourra lire dans la suite de ce livre [voir NOTICRIS].

MÉNOPÉE et sa sœur [Mlles Melson] […] donnèrent à Quirinus [Quinault] le sujet d’une allégorie intitulée L’Empire de la mode [perdu], et l’on tient même qu’elles y mirent beaucoup du leur, et cela est assez vraisemblable, puisqu’elles font bien des vers et qu’elles se piquent de réussir en prose qussi bien que pas une de leur sexe. […]

NOTICRIS [duchesse de Nemours] […] Je finirais avec cette vérité, si je ne m’étais engagé ci-devant [voir HÉRÉSIES] de montrer que le nombre des personnes d’esprit qui sont du parti contraire à Quirinus [Quinault], et qui n’estiment pas ses ouvrages, est plus grand et plus considérable que celui de ceux qui le soutiennent : c’est ce que je montre par l’exemple de Nitocris, qui s’est pour ainsi dire repentie d’avoir applaudi à la représentation de ses deux plus belles pièces, où sans doute ceux qui les représentaient s’acquirent toute la réputation imaginable : et je mettrai ici ses propres termes, pour n’être suspect ni de haine ni d’envie : « Je ne me pardonnerai jamais d’avoir applaudi à de si méchantes choses », dit-elle un jour à une de celles qui jouent aux jeux du Cirque qui est dans le quartier de Léolie [Mlle des Œillets, actrice au théâtre du Marais], « et en vérité j’ai été déçue à la représentation de ces deux pièces ». On peut voir par là qelle opinion l’on a de lui, et en même temps que l’on peut bien surprendre les personnes de cette qualité, mais qu’on ne peut pas les tromper longtemps, et qu’elles distinguent bientôt le véritable éclat d’avec les faux brillants.

POLIDOR [Ch. Perrault] est un jeune homme d’esprit et de mérite, qui a fait des galanteries en vers et en prose, entre autres un dialogue estimé dans toutes les ruelles, et le portrait d’Iris, qui est un des plus beaux qui aient été faits, et que Quirinus [Quinault] s’est longtemps attribué, ne faisant pas difficulté de publier chez des princes qu’il en était l’auteur, et même d’en donner des copies ; mais en cela je le loue d’avoir au moins une fois en sa vie connu les belles choses.

QUIRINUS [Quinault] est un jeune auteur dont je ne dirai pas grand-chose, parce que je ne crois pas qu’il y en ait beaucoup à dire de lui, tout le monde commençant assez à savoir quel il est, que les précieuses l’ont mis au monde, et que tant qu’il a trouvé jour à débiter la bagatelle, il a eu une approbation plus générale qu’elle n’a été de longue durée. Il pille si adroitement les vers et les incidents de ceux qui l’ont devancé, qu’on l’a souvent cru auteur de ce qu’il s’était adopté; ce n’est pas qu’il n’ait de l’esprit, qu’il n’invente quelquefois ; mais il lui faut pardonner : cela ne lui arrive pas souvent. Pour son humeur, il se vante d’être d’une complexion fort amoureuse, d’être fort brave auprès des dames. Il est plus grand que petit et, si l’on ne savoit parfaitement la mort du roi d’Éthiopie, on le prendrait aisément pour lui : car il est fort noir de visage, il a la main fort grande et fort maigre, la bouche extraordinairemenl fendue, les lèvres grosses et de côté, la tête fort belle, grâce au secours du perruquier qui lui en fournit la plus belle partie. Sa conversation est douce, et il ne rompt jamais la tête à personne, parce qu’il ne parle presque point que lorsqu’il récite quelques vers ; ses yeux sont noirs et enfoncés, pétillants et sans arrêt. Au reste, il est d’une fort belle encolure, et dans son déshabillé on le prendrait presque pour Adonis l’aîné.

TOXARIS [Mme Tallemant] […] est même protectrice [d’auteurs dramatiques], et ne voit pas seulement les auteurs, mais même Bavius [Boyer] est logé dans sa maison. C’est un homme qui fait fort bien des vers et qui a du mérite ; mais, ô temps malheureux ! ô modes étranges ! les applaudissements s’achètent à force de lectures, il les faut briguer, et Quirinus [Quinault] a amené cette coutume ridicule de mendier les approbations, et l’a si bien établie qu’il faut que les autres la suivent. Bavius, malgré sa fierté naturelle, y a été contraint, et Toxaris a bien fait son devoir à vanter ses ouvrages ; mais au moins avait-elle cette consolation que leurs beautés propres autorisaient ses soins, et lui celle de voir que l’on faisait quelque différence des siens avec ceux de celui dont j’ai parlé ci-dessus, et que ses partisans soutenaient en lui le mérite, et non la bagatelle.

* Le Grand dictionnaire des Précieuses circulait en manuscrit en 1659. Trois ans avant 1659 serait en 1656, après la polémique avec Scarron et Boisrobert autour de la propriété du sujet des Coups de l'Amour et de la Fortune et à un moment quand sa production théâtrale diminue. S'il s'agit de trois ans avant la publication, on voit mal pourquoi, en 1658, quand il dédie Amalasonte à Louis XIV, Quinault "tournait vers son occident".

Je cite les textes de Somaize sur les Précieuses d'après le dossier dans Les Précieuses ou comment l'esprit vint aux femmes de Roger Duchêne.