Les Grands hommes vengés

Deux volumes des Grands hommes vengés parurent à Lyon en 1769. Selon les pages de titre, le premier est de Monsieur des Sablons, le second de Monsieur Bergier. 

Le théologien Nicolas Bergier (1718-1790), ennemi des Philosophes, est l'auteur principal des trois volumes consacrés à la Théologie par l'Encyclopédie méthodique, publiés de 1788 à 1790.

Selon certains, M. des Sablons est un nom de plume du biographe Louis-Mayeul_Chaudon (1737-1817), auteur d'une notice biographique de Quinault.

L'article consiste pour la plupart en des citations de Boileau, de Desfontaines et de Bossuet.

QUINAULT.

Examen des jugements de M. de V. & de Boileau sur ce Poëte.

Mr. de V. a relevé très-souvent & très-vivement les censures que Despréaux a faites de Quinault. Sans vouloir justifier entiérement le Poëte Satyrique, nous dirons en peu de mots ce qui peut l'excuser. Ecoutons-le lui même. « Je ne veux point (dit-il, troisieme réflexion critique sur Longin) offenser la mémoire de M. Quinault, qui malgré tous nos démêlés Poëtiques est mort mon ami. Mais ses vers n'étoient pas d'une grande force, ni d'une grande élévation ; & c'étoit leur foiblesse même qui les rendoit d'autant plus propres pour le Musicien, auquel ils doivent leur principale gloire, puisqu'il n'y a en effet de tous ces ouvrages que les Opéra qui soient recherchés, encore est-il bon que les notes de musique les accompagnent. Car pour les autres pieces de Théatre, qu'il a faites en fort grand nombre, il y a long-temps qu'on ne les joue plus & on ne se souvient pas même qu'elles aient été faites. »

L'Abbé Desfontaines, (dans le tome III de ses observations) dit « qu'il n'y a aucune des décisions de Despréaux, que tout homme de bon goût ne soit intéressé à défendre, fùt-ce même le jugement qu'il a porté sur les opéra de Quinault, auxquels il n'accorda jamais son estime, non plus que Racine & la Fontaine, parce qu'il n'y a pas peut-être 500 beaux vers dans tous les opéra ; encore est-ce toujours la même chose retournée en cent façons ; sans parler de tout ce qu'il y a de monstrueux, ou de ridicule dans la plupart. Si c'est la faute du genre, c'est ce qu'il ne s'agit pas de discuter ici. »

Il est un plus grand réproche qu'on peut faire à ce Poëte, justement blamable de n'avoir chanté que l'amour & la volupté, & d'avoir décrédité les vertus en tâchant de rendre les vices aimables. Ses vers ne prechent que

La morale lubrique

Que Lulli réchauffa des sons de la Musique,

Despréaux, ce zélé partisan de la vertu, ce censeur austere du vice, n'est donc que louable de s'être opposé avec force au ravage que peuvent faire dans les bonnes mœurs & aux funestes impressions que peuvent laisser dans des imaginations tendres les Poésies de Quinault, chantées par des voix luxurieuses.

« La corruption, dit le grand Bossuet est réduite en maxime dans les opéra de Quinault, avec toutes les fausses tendresses & toutes ces trompeuses invitations à jouir du beau temps de la jeunesse ; le tout animé d'un chant qui ne respire que la molesse, & dont les accents des chanteurs & des chanteuses sont proportionnés aux récits & aux vers. » Quinault lui-même en a fait l'aveu & a déploré ses égarements, lorsqu'il a pensé à son salut. Sur la fin de sa vie, il résolut de ne plus chanter que les louanges de Dieu & les grandes actions de son Prince, & il commença par un Poëme sur l'extinction de l'hérésie en France, dont voici les premiers vers qui sont un aveu de ses fautes.

Je n'ai que trop chanté les jeux & les amours;
Sur un ton plus sublime, il me faut faire entendre,
Je vous dis adieu, muse tendre
Je vous dis adieu pour toujours.

Les Grands hommes vengés, ou Examen des jugemens portés par M. de V., & par quelques autres Philosophes, sur plusieurs hommes célebres, par ordre alphabétique : avec un grand nombre de remarques critiques & de Jugemens Litteraires.

Par Monsieur des Sablons. Tome Premier. Amsterdam et Lyon, Jean-Marie Barret, 1769, p. 247-249