Villiers

   Le Jésuite Pierre de Villiers (1648-1728) écrivait des pièces en latin pour le Collège de Louis le Grand à Paris, avant de se retirer dans l'ordre de Cluny. Il publia en 1674 un Entretien sur les tragédies de ce temps, sur l'Iphigénie de Racine ; il aurait aimé une tragédie sans amour, mais ce serait difficile « dans un siecle où l’on veut de l’amour & de la galanterie partout » (dernière page). Auteur aussi d'ouvrages sur la satire et sur les contes de fées, il s'attaqua à l'opéra dans son Épître sur l’opéra et sur les autres spectacles (Paris, 1711), bien qu'il n'en ait jamais vu et en ait à peine lu (v. 3-4). Il les trouve ennuyeux (sauf la musique et la danse), lascifs, contre le bon sens et le vrai. 

   Voici quelques extraits, tirés de ses Oeuvres en vers de 1717, livre second, épître II, p. 321-337.

[...]

Les Opera ne sont qu'un fatras monstrueux.

   Je n'en attaque point la Musique & la Danse,

Ni tout ce qu'autorise & nourrit de licence

Ce profane spectacle au Theatre étalé ;

[...]

Je soutien, (c'est le point dont tu t'es offensé,)

Que tous les Operà, ceux même qu'on admire,

Sont froids sur le papier, sont ennuyeux à lire,

[...]

Tu nous vantes Armide ;

Loin, dis tu, d'en trouver la lecture insipide,

Cet Opera te plaît, sans Musique ni chant,

Sur tout l'adieu d'Armide est un endroit touchant,

   Jugeons-en donc par-là. Le Ciel inexorable

Sépare deux Amans. En un sujet semblable

Virgile touche, enleve, & nous fait aux malheurs

De la triste Didon donner encor des pleurs.

   Mais Virgile, en traçant un adieu si tragique

Y fait parler le cœur comme le cœur s'explique;

Les vers par la douleur y semblent enfantez,

Nobles, vifs, naturels, sans ces tours affectez,

Par où, dans l'Opera tout Amant qui soupire,

Semble, même en pleurant, vouloir nous faire rire.

C'est par-la que l'adieu que tu nous as vanté,

Devient froid & badin quand il n'est pas chanté.

On y trouve, il est vrai, dans le discours d'Armide

Les reproches fameux par où, contre un perfide

Didon laisse éclatter un Amour irrité ;

Mais en tout ce morceau de Virgile imité,

L'Auteur à la Musique accommodant son stile,

Défigure Didon & travestit Virgile.

   Chaque plainte d'Armide a l'air d'un Madrigal,

Et semblant badiner en ce moment fatal,

Renaud tourne en Rondeau son adieu lamentable.

Aux tragiques sujets ce stile est-il sortable ? 

[...]

   Quand Armide éperdue y chante ses malheurs,

As-tu vû le Parterre ou les Loges en pleurs ?

Non, l'œil sec, on s'écrie, O ! la belle Musique.

A la beauté du chant tout entier on s'applique,

Au son des Instrumens, à la voix des Acteurs,

Bon, ou mauvais, le reste échape aux spectateurs.

Le reste... c'est trop loin pousser vôtre critique :

Quoi ? dis-tu, quand Atys à Zangaride explique

L'amour, le tendre amour qu'il sût dissimuler,

Qu'il voit des mêmes feux Zangaride brûler,

Et que ces deux amans en proye à leur souffrance

Dignes d'un meilleur sort, en perdent l'esperance,

Ne les plaignez-vous pas ? Non, l'esprit amusé

Par un discours toûjours sur un air compoté,

Et toûjours attentif à cet air qui le berce,

Pense à peine aux rigeurs du sort qui les traverse,

Mais on rit, à coup sur, quand on les voit soudain

Changer leur triste Scene en spectacle badin,

Et finir le recit de leurs peines secrettes,

Par les gaillards refreins de fades chansonnettes.

Eux, ils le font exprès, dis-tu, c'est un détour

Trouvé fort à propos, pour cacher leur amour.

Mais toi, qu'aurois-tu dit, si* par Neron surprise

Pour mieux cacher l'amour dont elle étoit éprise,

La timide Junie, en le voyant entrer,

Se fût mise soudain rire, à folâtrer ?

Ce burlesque détour auroit-il pû s'admettre ?

Non, mais à l'Opera ce trait peut se permettre.

* Dans la Tragedie de Britannicus.