Songe du Resveur, Le

Le Songe du resveur (Paris, Guillaume de Luyne, 1660) est une réponse à La Pompe funèbre de Mr Scarron de Somaize, qui était parue quelques jours après la mort de Scarron (le 6 octobre 1660). Somaize parle "avec peu de respect de la pluspart de nos illustres autheurs" et fait dire à Scarron que ni Quinault, ni Thomas Corneille, ni Desmarest de Saint-Sorlin, ni Molière n'est digne de lui succéder ; ce dernier est "un bouffon trop sérieux". 

Selon l'auteur anonyme du Songe du Resveur, l'oeuvre de Somaize crée un tel « désordre » parmi les poètes que les Muses troublées s'en plaignent à Apollon. Dans le songe, Melpomène explique à Apollon les causes de ce désordre, en commençant par un billet qu'elle lui donne à lire :

Il vient de nostre cher Quinault :

Ce jeune Apollon, du Parnasse,

Tient casi la premiere place,

C'est un de nos chers favoris. (p. 7)

Le billet contient une épigramme attribuée à Quinault :

Muses, un bastard de Satyre,

Depuis quinze jours environ,

A voulu se mêler d'ecrire

Les funerailles de Scaron.

Ce gueux en derobe l'idée

Dans le celebre Sarrazin ; [La Pompe funèbre de Voiture (1649)]

Il l'a seulement retournée,

De crainte de mourir de faim.

Mon estonnement fut extreme,

Et j'estois tout hors de moy-mesme,

Alors que l'on me le dit hier :

Car depuis que je sçais écrire,

Je n'ay jamais entendu dire,

Que le Parnasse eust un fripier. (p. 7-8)


Un "fripier" est quelqu'un qui revend de vieux vêtements et d'autres objets, mais aussi au auteur qui recycle les ouvrages d'autres écrivains, honnêtement comme intermédiaire ou malhonnêtement comme plagiaire. Voir Molière, Les Femmes savantes, III, 3, v. 1017 : "Allez, fripier d'écrits, impudent plagiaire". Ici, l'auteur de l'épigramme reproche à Somaize d'avoir dérobé l'idée à Voiture, pas nécessairement de l'avoir plagié. Comme le dit Christophe Schuwey à propos de cette épigramme, un fripier ajuste un concept à une nouvelle occasion (Un Entrepreneur des lettres au XVIIe siècle : Donneau de Visé, de Molière au Mercure Galant, p. 31-32).


C. Schuwey a bien démontré, dans son livre sur Donneau de Visé et dans son article "Au-delà du plagiat : de quoi 'fripier d'écrits' est-il le nom ?", que les fripiers étaient bien répandus vers 1660. Alors, si Quinault s'étonne que le Parnasse en ait, c'est qu'il veut distinguer les véritables auteurs de petits écrivains sans originalité. Un fripier comme Somaize n'est pas digne du Parnasse, n'est pas un grand auteur ; et bien évidemment, Quinault se considère comme digne du Parnasse.


Selon le Bibliophile Jacob, qui publia Le Songe du Resveur en 1867, cette épigramme serait de Quinault, comme les autres du livre seraient des écrivains auxquels l'auteur anonyme les attribue. Pour Jacob,

ces épigrammes appartiennent bien à ceux dont elles portent les noms et qui n'auraient pas accepté, sans doute, une attribution aussi compromettante, s'ils n'eussent pas participé à cette conspiration des poëtes qui s'étaient engagés réciproquement à faire cause commune pour administrer, en quelque sorte, une bastonnade collective à l'impertinent auteur de la Pompe funèbre de Scarron. Il est aisé de voir, en lisant le Songe du Resveur, que ce projet de représailles rimées avait été imaginé dans l'intérieur du théâtre du Petit Bourbon et qu'il fut exécuté simultanément par les auteurs attitrés de ce théâtre : Quinault, Boyer, Corneille l'aîné, Corneille jeune, Magnon, Coqueteau de la Clairière, etc., et par les amis intimes de Molière : Boileau, Furetière, La Mothe-Le Vayer, etc.


Si Quinault est vraiment l'auteur de l'épigramme, ce serait le seul cas connu d'une riposte écrite par notre poète contre l'attaque d'un rival. Il est vrai qu'en 1660 il n'avait que 25 ans et qu'il était un jeune auteur cherchant à s'imposer, et non l'académicien et le librettiste attitré des années 1670-1680.